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Vendredi 7 mai 2004, Collège de Staël
Samedi 8 mai 2004, Salle Frank-Martin

Avec les chœurs des collèges de Staël et de Saussure

Au programme

Pocahontas

Alan MENKEN
arr. John Moss

pour cordes, piano et percussion

Colors of the wind - Mine, Mine, Mine - Savages

 

Suite tchèque, op. 39

Anton DVORAK

Praeludium (Pastorale)
Polka
Menuett (Sousedska)
Romanze
Finale (Furiant)

 

Sensemayá

Philippe DRAGONETTI

pour chœur et orchestre
poèmes de Nicolás Guillén

Prélude
Pregón
Interlude
Sensemayá
Caminando
Balada de Simón Caraballo
Caña

 

Direction : Philippe GIRARD

A propos du programme

Alan MENKEN est né en 1949 à Rochelle dans l’Etat de New York. Son histoire est exemplaire du fonctionnement impitoyable en vigueur dans le monde merveilleux du show business. L’aventure de ce jeune homme, hésitant tout d’abord entre médecine et musique, débute pourtant comme un conte de fée, genre si souvent commercialisé par la firme qui va bientôt l’employer!

Modeste auteur de chansons, sa première chance fut de rencontrer Howard Ashman écrivain connu qui va l’introduire dans les milieux de la comédie musicale. De 1979 à 1986, leur collaboration va être florissante. Nombre de leurs pièces connaîtront un succèsimportant.

Mais c’est lorsqu’il est décidé de réaliser un film de l’une d’entre elles, «Little Shop of Horror» que le destin de Alan Menken va basculer. Son nom va rapidement être associé à l’univers de la musique de film et une collaboration quasi exclusive avec les Studio Disney va débuter. La liste des titres, et des succès, dont Menken réalise l’habillage sonore est impressionnante; 1989 «La PetiteSirène», 1991 «La Belle et la Bête», 1992 «Aladin», 1995 «Pocahontas», 1997 «Le Bossu de Notre-Dame». Toutes ces musiques remportant un nombre impressionnant de distinctions internationales.

Puis vint la partition de trop! En 1997, il réalise la musique dudessin animé «Hercules» qui connaîtra un flop retentissant. Son contrat sera alors résilié et il ne reprendra une activité dans le domaine de la musique de film qu’en 2004. Rassurons-nous toutefois, Alan Menken est resté au fil de ces années un musicien actif sur les scènes de Broadway.

Les trois extraits de la musique de «Pocahontas» présentés ici sont un arrangement pour cordes et percussion réalisé par John Moss dela partition originale. L’efficacité de ce type d’écriture est frappante.

Les thèmes sont clairement dessinés, les rythmes franchement articulés, l’harmonie puissamment efficace en vue d’une lisibilité absolue pour le spectateur du film pour lequel ces musiques ont été pensées.

Notons bien, pour souligner la cohérence absolue de la première partie de cette soirée (!), que les origines de la musique qui fera les beaux jours de l’industrie cinématographique hollywoodienne puise ses sources, au tout début du XXème siècle parmi les héritiers de la grande tradition symphonique d’Europe centrale dont l’un des plus éclatant fleuron est bien Antonin Dvorak.

Nous ne cèderons pas ici aux parallèles faciles entre les thèmes de sa «Symphonie du Nouveau Monde» et les motifs de Menken pour «Pocahontas». Les pauvres indiens d’Amérique ont bien assez d’autres soucis comme ça!

La suite Tchèque op. 39 fut créée à Prague en 1879. Cette musique se rattache à la veine slave de son auteur. En effet, Antonin DVORAK, dans la seconde partie de sa carrière, va nourrir son inspiration de rythmes et de motifs inspirés du folklore de son pays. Cette petite suite en porte la trace évidente. Le succès immédiat deses Danses Slaves, composées à la suite des célèbres Danses Hongroises de son maître Johannes Brahms, connaîtront d’ailleurs un succès foudroyant.

Les cinq mouvements qui constituent cette Suite sont librement inspirés de danses et de rythmes folkloriques, tous portent en sous-titre le nom d’une danse nationale ou tout au moins l’évocation del’univers bucolique si cher au compositeur.

Le Prélude, Pastorale, déploie avec simplicité un long motif passant aux différents pupitres de l’orchestre.

La Polka, Allegretto grazioso, nous rappelle que depuis Smetana, le père de la musique tchèque, cette danse était devenue une véritable passion dans toutes les couches de la société du pays. Son trio développe un motif frémissant particulièrement élégant.

Le Menuet, sous-titré Sousdeská, porte cette marque harmonique si particulière aux œuvres de Dvorak dont l’apparente simplicité porte pourtant la marque d’un grand raffinement.

Si la Romance, Andante con moto, peut sembler plus conventionnelle au premier abord, son orchestration et de délicates touches harmoniques archaïsantes en font une page très attachante.

La suite se termine comme il se doit par un Finale, Furiant, du nom de cette fameuse danse bohémienne alternant les mesures à deux temps et à trois temps ce qui provoque le joyeux déhanchement si caractéristique de tant de finals du compositeur.

«Passer une commande». Cette expression peut sembler banale. Dans le plus infâme restaurant à hamburger, le client passe commande. Il est pourtant des circonstances où la commande n’implique pas cette relation autoritaire. Au fil des siècles de nombreux artistes se sont pliés à la création d’œuvres de commande. Ceci de plus ou moins bonne grâce. Cette pratique véhicule toujours un relent de servitude. Œuvre de commande, travail alimentaire.

Or, il n’en est pas forcément ainsi. Pour bien des artistes, la commande stimule l’imagination, pousse à explorer des cheminsnouveaux, oblige à utiliser des moyens encore inusités. Ainsi, dans les meilleures conditions, la commande instaure-t-elle une relation unique de confiance entre le commanditaire et l’artiste, entre le créateur et celui qui le sollicite. Avec Philippe DRAGONETTI, après des années de collaboration dans le cadre de l’enseignement secondaire, après une première et merveilleuse expérience autour de l’Orchestre du Collège de Genève, l’envie de revivre cette exploration commune était vive. Disposant d’un orchestre aux pupitres quasi symphoniques, d’un chœur constitué de collégiens dont le compositeur connaît les compétences à la perfection, la plongée dans l’aventure Sensemayá ne pouvait que s’imposer.

Au printemps 2000, Harmorimba, trois danses pour harmonica, marimba et orchestre symphonique, dédiée à l’Orchestre du Collège de Genève, avait déjà permis de découvrir un compositeur à la verve mélodique généreuse, au talent d’orchestrateur inné. Le nouveau projet ne devrait qu’approfondir le plaisir qui fut celui de tous les participants à cette première aventure.

En effet, Philippe Dragonetti, musicien multiple, possède au plus haut point l’art de marier les styles sans tomber dans l’amalgame qui caractérise trop souvent les tentatives de ce genre. Combien depièces de «jazz-symphonique», de «classique-rock» font plus penser au pitoyable mariage de la carpe et du lapin qu’à la fertile union de musiques se nourrissant mutuellement. La justesse de son talent donne envie de voir d’autres «commandes» naître ainsi de la confiance qu’il fait à ceux qui jouent sa musique.

Lorsque le projet d’une œuvre destinée au Chœur du Collège de Saussure et à l’Orchestre Arcus-Caeli fut évoqué, la langue espagnole s’imposa d’emblée comme une évidence. De là, miracle de la collégialité, une collègue enseignant cette langue propose à Philippe Dragonetti quelques poèmes du barde cubain Nicolás Guillén. Et voici la stupéfiante alchimie de la création qui se met en marche. Rythmes, sonorités s’enchaînent, s’affinent pour donnernaissance à cette grande cantate chorale en sept parties que nous avons le bonheur de découvrir.

Travail immense pour une partition remarquable. Du poète de la négritude, le musicien retient les rythmes ensoleillés, pleins d’une lumière qui regarde vers l’Afrique ancestrale. Il explore également cette souffrance qui n’est jamais très éloignée du chant et de la danse de l’opprimé.

Ainsi, l’œuvre se termine-t-elle sur la plainte révoltée et éternelle del’exploité dont le sang et la sueur abreuvent la terre ingrate du champ de canne à sucre. Derrière la douleur et le mutisme de Simón Caraballo se profile l’énergie farouche d’un peuple qui se bat, d’une caste en mouvement.

Caminando, en marchant, toujours debout, même mort l’esclave est debout à l’image de Simón justement. Si le soleil et la verdoyante nature tropicale semblent atténuer la douleur, si le marché regorge de fleurs et de fruits multicolores, n’oublions pas que c’est au prix de la sueur de l’esclave. Et toujours en mouvement, sur la route, sous le soleil poussant sa charrette, le travailleur ne voit pas de trêve à son calvaire. Sinon dans la résurgence soudaine, Sensemayá, de paroles magiques venues du tréfonds de son continent d’origine. Et les percussions de soutenir le rituel, la couleuvre se faufilant jusque dans l’orchestre au fil d’un interlude instrumental aux couleurs étrangement hispanisantes.

Philippe Dragonetti nous propose ainsi un parcours qui, du marché mystérieux s’éveillant à l’aube du Prélude, au champs de canne à sucre final nous aura permis d’explorer un univers coloré, attachant dans lequel les rythmes ancestraux ne sont jamais très éloignés. Si la musique joue sur les registres de la samba, de la marche comme dela scansion africaine, elle est avant tout mouvement. La danse, le mouvement extatique qu’elle induit devenant peut-être le seul espace de liberté pour celui qui porte les chaînes.

Philippe GIRARD

Né à Cuba (1902-1989), Nicolás GUILLÉN s’inscrit dans le mouvement de rénovation artistique du début du XXème siècle. Poète-journaliste engagé, il a mené toute sa vie une lutte contre l’exploitation et les injustices sociales. En poursuivant un idéal révolutionnaire, il a également révolutionné la poésie en langue espagnole. Son œuvre poétique se fonde sur le questionnement de l’identité culturelle du cubain, identité construite essentiellement à partir du métissage; l’apport culturel des indiens Siboney habitant l’île avant l’arrivée des espagnols, celui des esclaves noirs, originaires d’Afrique de l’Ouest, devenus main-d’œuvre dans les plantations de canne à sucre et celui des espagnols, descendants des colons qui ont introduit leur langue et culture sur l’île de Cuba à partir du début du XVIème siècle, époque de la colonisation.

Dans ce contexte, pour Nicolás Guillén la poésie devient un lieu de recherche où l’élément «noir» en tant que composant social et culturel a sa place au même titre que l’héritage de la poésie enlangue espagnole. Ses poèmes non seulement dénoncent l’exploitation des esclaves, expriment leur souffrance, leur rage et leur désespoir, mais se proposent simultanément de révolutionner le langage poétique puisque le poète cherche à transposer dans la langue écrite la sonorité, la musicalité et les rythmes d’origine africaine ainsi que les formes musicales nées des métissages sur l’île. Par conséquent, les rythmes et les sonorités pratiquées par les esclaves noirs font intrusion dans la langue de Cervantès et cette poésie appelée «poésie noire» devient le lieu d’expression d’une revendication de reconnaissance, celle de l’identité culturelle métisse. Nicolás Guillén revendique l’identité afro-cubaine à travers la poésie et par la même occasion réconcilie la forme littéraire culte et la culture populaire, la musique, les rythmes, les tambours des anciens esclaves et l’écriture. L’œuvre poétique devient l’expression de l’identité cubaine afro-hispanique et en même temps contribue à la faire vivre dans toute sa richesse au delà des frontières des genres littéraires.

Eva MICHEL